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6 février 2014 4 06 /02 /février /2014 17:10

 Observations nocturnes

En juillet 98, un collègue habitué des sorties nocturnes m’a signalé l’abondance de magiciennes dentelées sur un site traversé par une route. Une sortie commune, pendant une nuit sans vent le 21 juillet, nous a fait constater que l’animal circule au sol, à partir de 23 heures environ, et qu’il est commun dans les stations visitées. Une autre sortie nocturne le 23 juillet, a confirmé ces observations dans d’autres stations.
Quelle émotion de voir ainsi, vivants, plusieurs exemplaires rassemblés de cette espèce énigmatique !

Pratiquement introuvable de jour, l’animal révélait sa présence dans tous les sites où nous le cherchions parce que ceux-ci nous semblaient relativement préservés par l’absence de mise en culture. Sur les routes ou dans les chemins, il circule à partir de vingt deux heures au plus tôt et jusqu’aux prémices de l’aube. On le trouve aussi à la pointe des branches et sur les buissons des garrigues ouvertes, où l’on peut observer des rassemblements de plusieurs individus, apparemment en interaction. D’après des observations qui m’ont été rapportées, les individus trouvés sur des plantes herbacées, souvent de jour, étaient tous jeunes et immatures (en avril et mai). C’est pourquoi, il faut les chercher sur les plantes arbustives, à partir du mois de juin, dès lors que les individus sont plus lourds, deviennent instables sur les plantes herbacées, et sans doute plus vulnérables aux prédateurs.

Après ces observations préliminaires, mon opinion sur Saga pedo était changée : d’insecte rare et mythique, qui faisait parler certains auteurs de leur « chance » quand il en avaient découvert un seul individu, la magicienne devenait commune et facile à trouver, presque une « banalité ».

 Un animal lucifuge

L’examen attentif d’un biotope où les magiciennes dentelées avaient été observées en nombre, de nuit, ne m’a pas permis de voir l’animal en période diurne. Quel comportement peut expliquer cette étonnante discrétion de l’insecte pendant le jour ?

En examinant avec obstination le même biotope où je savais que l’animal n’est pas rare, j’ai fini par comprendre pourquoi il est en apparence introuvable dans les conditions habituelles d’observation. L’habitude de capturer des cigales à la main sur les troncs a pu m’aider dans cette recherche. L’insecte adulte se dissimule dans la pénombre, dans le houppier des arbres ou sur le tronc. Il présente une robe mimétique verte, plus ou moins mouchetée de noir, et parfois de rouge, sur l’abdomen et le thorax, avec une ligne latérale blanchâtre ou rose allant de la tête à l’extrémité de l’abdomen, qui rompt le profil apparent de l’insecte (ligne disruptive) et contribue à tromper un prédateur chassant à vue. Ce dessin varie peu entre les individus. L’ombre atténuant les différences entre les couleurs, la robe mimétique de Saga pedo montre alors son maximum d’efficacité dans un environnement ombragé parsemé de taches de lumière. Ses dessins rendent l’insecte difficilement discernable s’il est posé près d’une tache de lichen ou de mousse, et ce phénomène est amplifié par le jeu des rayons lumineux agités par les mouvements du feuillage qu’ils traversent. Son apparence est caractéristique d’un animal mimant ses supports naturels (cryptisme). Elle évoque le mimétisme des Phasmes. Cette convergence entre ces Insectes d’Ordres différents n’est pas la seule : les mâles des Phasmides sont souvent plus rares que les femelles, voire inconnus pour certaines espèces considérées comme parthénogénétiques.

Classiquement, les entomologistes chassent à vue en utilisant deux méthodes : soit ils examinent la surface du sol et des végétaux et prélèvent les insectes qui les intéressent par toutes sortes de moyens, soit ils battent les buissons et les branches accessibles avec une canne et récoltent les adultes et les larves qui tombent dans une nappe tendue. La première méthode permet la collecte des Insectes diurnes actifs (surtout les floricoles et ceux qui se capturent au filet). La deuxième méthode permet la capture de presque tous les Insectes réfugiés à l’extrémité des rameaux. Dans tous les cas, la recherche ne concerne que les Insectes qui se tiennent sur les fleurs, les feuilles et les petits rameaux. Ceux qui se réfugient à l’intérieur du houppier échappent à l’observation et n’ont rien à craindre des coups de canne qui ne concernent que les petites branches. Ayant tendance à prospecter en fin de matinée et de préférence par beau temps, pour des raisons de confort propres à notre espèce, j’avais le moins de chance de voir la magicienne ou de provoquer sa chute sur une nappe. Les deux méthodes de chasse ainsi décrites sont celles que j’avais utilisées spontanément dans ma recherche de Saga pedo, sans succès. Voilà comment l’un des plus grand Orthoptère d’Europe a maintenu sa réputation de rareté depuis deux siècles : grâce au comportement des entomologistes qui oublient d’explorer à mains nues les troncs et le houppier des arbres et arbustes des garrigues encombrées, en préférant harceler les branches avec une canne sans quitter leur chemin. Notre manière conventionnelle de circuler dans la nature conditionne le résultat de nos observations. Ce que confirment, à leurs manières, des habitants qui ont alerté des gendarmes à mon propos, lesquels venaient me « contrôler » en m’intimant l’ordre de descendre d’un éboulis ou d’un coteau !

Comme nous l’avons dit, la réputation de rareté de Saga pedo est fausse puisque l’animal peut être encore abondant dans ses stations, et que celles-ci sont encore assez nombreuses. L’animal fut probablement fort abondant avant que le piège des pesticides ne se referme. Cette erreur illustre in fine la crainte de certains observateurs de circuler dans la nature, pendant la nuit. Cette phobie conduit des personnes à ignorer la vie nocturne, son intensité et ses particularités. Rappelons que la majorité des Insectes sont principalement actifs la nuit. Cela suggère qu’il existe un déficit d’observations concernant la majorité des Insectes. On ne peut, en effet, observer sérieusement de jour des animaux qui sont actifs principalement la nuit. Et quand un observateur éprouve des craintes dans la nature, son objectivité risque d’être sujette à caution. Beaucoup de nos convictions sont ainsi conditionnées par des biais caractéristiques de notre espèce naturellement diurne et effrayée par la nuit. La conception de nos maisons en témoigne.

Cette adaptation de Saga pedo à la vie nocturne est cohérente avec plusieurs caractéristiques de l’animal. Le faible nombre des œufs émis par les femelles est une stratégie de reproduction qui implique la stricte nécessité pour ces Insectes de parcourir leur vie jusqu’au stade de la ponte, avec un faible taux de perte. Ils payent ainsi le tribut le plus faible aux prédateurs diurnes qui écument le sol et la surface des rameaux. Dans la région où furent menées ces observations, le lézard vert Lacerta viridis, le lézard ocellé Lacerta ocelata et plusieurs espèces d’oiseaux, tous strictement diurnes, capturent toute proie de taille convenable. Saga pedo, Insecte géant et relativement lent, serait exterminé par ces grands Reptiles et autres insectivores présents dans presque tous les milieux ouverts et non humides, où ils capturent couramment des Arthropodes diurnes et même des petits Vertébrés plus mobiles et plus vifs que la magicienne.

Saga pedo peut effectuer des sauts assez faibles (40 cm), pour éviter d’être pris, ce qui lui permet dans la nature d’exercer un effet de surprise, et, s’il est en hauteur, de chuter dans les végétaux pour s’y dissimuler. Les pattes postérieures ne présentent pas d’adaptation spéciale favorisant le saut et les pattes intermédiaires semblent bien participer aux sauts. Cet Insecte ne se déplace habituellement qu’en marchant. Confrontée directement à un prédateur, Saga pedo dispose de peu de moyens de défense. Dans son évolution, cet insecte a privilégié la dissimulation au détriment de l’aptitude à fuir. Le mimétisme cryptique de cette espèce est un succès puisqu’en ne pondant, une fois dans leur vie, qu’un petit nombre d’oeufs, les femelles assurent la perpétuation de l’espèce.

 Un entomophage adapté à la prédation nocturne

Autre signe d’adaptation à des activités nocturnes : la magicienne chasse « au toucher ». Avec ses antennes fines et longues, Saga pedo explore son environnement. Les antennes sont utilisées aussi pour la recherche des supports pendant les déplacements. Dès qu’un support est perçu devant l’animal en mouvement, une antenne reste en contact avec lui jusqu’à ce que la magicienne y pose une patte. La finesse des antennes ne doit pas plus effrayer les Insectes au repos que l’agitation des herbes par le vent.

La détection des proies avec les antennes est immédiate. La magicienne réagit dès qu’une antenne a touché un Insecte. Elle a une sorte de sursaut, et les antennes arrêtent leur mouvement exploratoire. Elles paraissent alors « concentrer leur attention » sur l’Insecte découvert. Sa réaction est identique quand l’observateur touche une antenne avec un doigt. L’attitude de la femelle se modifie immédiatement, ce qui n’arrive jamais quand les antennes entrent en contact avec un végétal. Saga pedo discrimine les éléments de son environnement avec un organe sensitif spécial, bien visible à l’extrémité des antennes. Celui-ci à la forme d’un fourreau de cinq millimètres de long, un peu plus épais et de couleur plus claire que le reste de l’antenne. Son étude microscopique m’est inconnue et il ne semble pas avoir reçu de nom.

Quand elles ont été détectées et localisées, et si le prédateur ne s’est pas déjà alimenté, les proies sont saisies par les membres antérieurs fonctionnant comme des pattes ravisseuses et immobilisées par quelques morsures. L’insecte capturé est dilacéré par les mandibules et avalé par morceau. Arrivée au dernier stade de son développement, une magicienne adulte peut consommer le corps d’un puissant dectique dans la nuit, en abandonnant les pattes, les ailes, et l’extrémité de l’abdomen. Le contenu du thorax et de l’abdomen semble apprécié, sans doute parce qu’il est riche en eau. Après ce repas, bien inférieur en poids à celui d’une magicienne adulte, l’animal paraît repus et ne s’intéresse plus à aucune proie, même petite ou affaiblie.

Si les pattes intermédiaires n’ont pas de fonction de préhension, pourquoi présentent-elles des adaptations comparables aux pattes antérieures ? L’Insecte aurait-il exceptionnellement développé deux paires de pattes ravisseuses ? S’agit-il d’organes témoignant de l’abandon d’une fonction ancienne, de l’apparition d’une fonction d’usage rare mais nécessaire, ou de la reproduction sur les pattes intermédiaires d’appendices inutiles à cet endroit, sélectionnés tout d’abord sur les membres antérieurs ? Nous sommes, avec cette question, à la rencontre d’un phénomène assez fréquent et, me semble-t-il, non expliqué. Il s’agit du développement de certains organes ne paraissant pas correspondre à un besoin ou qui sont excessifs, et parfois nuisibles (hyperthélie).

Certaines araignées vagabondes, comme les Salticidae, se jettent sur leurs proies et les saisissent avec plusieurs paires de pattes. Elles sont alors déséquilibrées et peuvent rouler. On pourrait concevoir qu’un Insecte utilise une technique semblable. La différence est dans le fait que les araignées, qui capturent une proie, leur inoculent un venin, ce qui constitue en soit une opération complexe, avec choix sur le corps de la victime du site d’envenimation. Ils doivent rester en contact stable avec leur prise assez longtemps pour réaliser cette opération. La magicienne attire la proie vers ses mâchoires pour lui entamer la tête ou le thorax. Si la morsure a été efficace, la proie devient inerte ou inactive. Pour saisir un Insecte, Saga pedo a besoin d’un appui stable et n’utilise qu’une paire de pattes pour attraper son gibier. Ces remarques n’expliquent pas la présence d’épines orientées sur les pattes intermédiaires, et leur absence sur les membres postérieurs.

La saisie des proies s’effectue entre les tibias et les fémurs antérieurs munis de longues épines. La disposition et l’inclinaison des épines empêchent la proie de se dégager de l’effet de pince exercé par les pattes antérieures, ou de glisser, en exerçant un effet « anti-retour » comme les barbes d’un hameçon. On vérifie cette capacité en observant une allumette ou un crayon placé entre fémur et tibia repliés. Les tibias et les fémurs intermédiaires, armés d’épines aussi fortes que les membres antérieurs, participent peut-être au processus de capture. En observant plusieurs de ces séquences de capture, je n’ai pas vu les pattes intermédiaires fonctionner comme des pattes ravisseuses. Cependant, le guide de BELLMANN et LUQUET (7) montre une photo de Saga pedo enserrant une proie avec deux paires de pattes, comportement exceptionnel pour un Insecte. S’il se confirme que ce comportement de Saga pedo est un acquis de l’espèce, ce que la disposition d’épines adaptées sur deux paires de pattes suggère fortement, alors ce serait la première découverte d’un Insecte disposant de deux paires de pattes ravisseuses transformées pour la capture des proies !

 La question de la frontalisation

Saga pedo ne dispose pas d’une vision binoculaire et ne montre pas d’indices de frontalisation classiques comme c’est le cas pour de grands Insectes diurnes chassant à vue (au sol : Mantidae, Cicindelidae ; ou en vol : libellules Anisoptères et diverses mouches prédatrices). La frontalisation est un concept inconnu en entomologie, probablement parce que les barrières séparant les spécialités en biologie ont été longtemps étanches. C’est une adaptation de certains Vertébrés. Elle rend compte d’un ensemble de modifications anatomiques qui privilégient l’écoute et l’observation dirigées. Les organes de l’ouïe et de la vision, les organes émetteurs d’ultrasons des chauves-souris, ou les récepteurs thermosensibles focalisés vers l’avant chez certains Reptiles, peuvent se concentrer dans une direction et mieux informer le prédateur sur la position d’une proie, d’un obstacle ou d’un fruit, même dans l’obscurité. La frontalisation a précédé l’augmentation des capacités cognitives chez des Vertébrés supérieurs (Primates) et permis l’activité de chasse chez de nombreux prédateurs. Dans ces cas, les yeux (ou d’autres systèmes des sens) se sont déplacés vers l’avant et l’animal présente une « face », avec une perception focalisée favorisant l’analyse des reliefs, l’appréciation fine des distances et la situation précise des proies, permettant des réactions rapides dans des environnements complexes (chasses à l’affût, poursuites au sol ou en vol, évolution en milieu arboricole). Bien que la notion de frontalisation ne soit jamais appliquée aux Invertébrés, j’estime que cette évolution existe chez certains Insectes. Par exemple, l’aptitude d’une Mante à tourner la tête pour observer une proie ou un danger potentiel, en vision binoculaire, est un argument pertinent en faveur de l’apparition de la frontalisation chez plusieurs groupes d’Insectes prédateurs chassant à vue.

Les yeux de la magicienne dentelée sont petits, et je ne serais pas étonné que soient découverts des individus présentant une vision réduite par dégénérescence oculaire (microphtalmie). Si l’animal, dans certaines régions karstiques de son aire, se plaît dans des cavités, on peut envisager un comportement adapté aux milieux souterrains, la faculté de se déplacer et de repérer les proies avec les antennes constituant une préadaptation favorable.

La vision reste fonctionnelle en environnement diurne. Chez la magicienne, les yeux ont conservé un rôle essentiel de détection des menaces : un geste de la main peut déclencher un réflexe de fuite (saut ou chute dans les végétaux). Pour fuir un prédateur, point n’est besoin de le reconnaître en détail, c’est à dire d’en avoir une vision en relief. Le plus utile est de repérer sa présence le plus rapidement possible dans le champ de vision proche, en percevant les modifications de la lumière provoquées par le déplacement de l’objet potentiellement menaçant, et donc en garantissant une surveillance panoramique. Chez la magicienne, la recherche et le choix des proies est une spécialisation qui a été transférée aux antennes. Celles-ci peuvent identifier un insecte immobile, probablement par des capacités olfactives, tandis que les yeux sont stimulés par le mouvement en période diurne. Ils conservent une vision bilatérale et couvrent un champ large, favorisant une surveillance défensive de l’environnement au détriment d’une vision stéréoscopique et focalisée. L’implantation des antennes entre les yeux, et en avant de la tête, avec les deux premiers articles volumineux et commandés par une puissante musculature située dans la tête, ne favorise pas une vision oculaire dirigée vers l’avant. Elle ne contrarie pas, non plus, une surveillance bilatérale. On voit qu’entrent les antennes et les yeux, la prééminence est donnée aux antennes, devenues le principal organe d’orientation, et sans doute le seul utilisé pour les déplacements nocturnes et la recherche des proies. Nous sommes en présence d’un Insecte présentant un phénomène adaptatif de frontalisation concernant un organe du toucher.

 Pour des observations scientifiques
mieux soutenues sur les espèces menacées

Jusqu’à une époque récente, Saga pedo a été observé par individus isolés, peut-être aberrants, blessés, parasités ou mourants. Des indications sur l’environnement, la végétation, la météorologie, l’heure, etc. sont rarement données. Les états larvaires ou adultes ne sont pas distingués. Aucun élevage d’exemplaires au comportement inhabituel ne semble avoir été mené pour collecter les arthropodes parasites. Souvent, l’indication de la trouvaille d’un individu était la motivation principale de l’article. Il apparaît que l’un des plus grands Orthoptères du monde est aussi l’un de ceux qui a été le moins étudié.

Diverses publications consacrées à Saga pedo disent que l’Insecte est « acriphage » ou « acridiphage », c’est à dire consomme des Criquets (Acridiens ou Acrididae). Il s’agit d’une affirmation plus proche de l’erreur que de la règle, qui se diffuse comme une rumeur (« Je le répète puisque je l’ai lu … »). Les Criquets ne constituent qu’une partie des Insectes qui sont acceptés par les magiciennes. L’Insecte attaque aussi bien un Papillon ou une Mante, à condition qu’il ne soit ni inquiété, ni rassasié. Les magiciennes ne recherchent pas spécialement les Criquets. Comme les Mantes, elles prennent ce qu’elles trouvent, dans la mesure où les proies sont proportionnées au prédateur et ne sont pas répulsives. Des petits Acridiens se prennent souvent dans des toiles d’Araignées et sont consommés sans que, pour autant, ces Arthropodes soient qualifiés « d’acridiphages » dans aucune des publications que j’ai lues. Il est exact, cependant, que les Criquets peuvent être abondants et, en conséquence, deviennent des proies préférentielles pour les magiciennes carnivores, mais il ne s’agit que d’un phénomène relevant de la statistique. En l’absence d’études précises sur le régime alimentaire de Saga pedo, il est seulement légitime de dire que l’animal est entomophage, ou plus généralement carnassier. Dire que l’animal est « extrêmement carnassier », ainsi que je l’ai lu, est une appréciation qualitative qui ne peut rendre compte des habitudes alimentaires de l’Insecte. Il est plaisant de constater que le terme « acridiphage » a été forgé et n’est employé qu’avec l’énoncé d’une erreur systématique concernant uniquement la magicienne dentelée.

BERNARDIN DE SAINT-PIERRE aurait été interpelé
Par la Sollicitude de la Providence,
Qui met tant d’Harmonie entre les magiciennes et leur gibier.
Ces insectes, dans leur enfance,
Encore petits et désarmés,
Ne peuvent capturer, en guise d’aliment,
Que des êtres faibles et mal protégés.
Or, les criquets, au sortir du froid mordant,
Ont une petite taille, et leur profusion au sol,
Leur inaptitude au vol,
En font des proies rêvées
Pour les magiciennes affamées.
Aussi, tout au long de la belle saison,
La taille des proies va de raison
Avec la force de nos dentelées.
Tant d’Harmonie et de Bonté,
N’auraient pas manqué de plaire
Au bon BERNARDIN DE SAINT PIERRE.
[Note 1]

L’observation de Saga pedo dans ses biotopes implique des sorties nocturnes longues et patientes, avec une volonté réelle de respecter les rythmes de l’animal, ce qui n’est pas toujours l’apanage des « curieux de nature ». Ainsi, l’affirmation que Saga pedo est « extrêmement rapide » s’explique sans doute par le fait que des Insectes manipulés, au sein d’un groupe de personnes agitées et bruyantes, bien plus grandes que la bête, sont terrorisés. L’animal est ballotté et saisi dans tous les sens. Il montre, tout simplement, des réactions de panique : tentatives de fuite, sauts. Notre réaction serait-elle sereine si nous étions soudain enlevés par un être mille fois plus grand que nous ? Cet Insecte perçoit les mouvements dans son environnement et possède un système auditif. Manipuler cet animal, c’est aussi lui infliger nos odeurs corporelles et le contact de la sueur, alors qu’il dispose de capteurs sensoriels et chimiques dont nous imaginons mal la finesse des sensations qu’ils permettent. L’observation tranquille et patiente, dans des conditions naturelles, fait voir au contraire un animal lent et prudent, étranger à l’image caricaturale qu’en donne la vieille littérature entomologique.

La magicienne dentelée est facile à élever. Son comportement alimentaire rappelle celui des Mantes, carnassières peu exigeantes, dont l’élevage est l’un des plus simples à mener. C’est un bel Insecte, fascinant, inoffensif, insolite, spectaculaire et coloré. Son éthologie pose des questions déconcertantes et sa reproduction sexuée, si elle existe, est un mystère. Le nombre de ses stations se réduit rapidement à cause des incendies, des pollutions, de l’anthropisation rapide des milieux et de la raréfaction de ses proies. Les cartes de répartition de l’espèce montrent des aires disposées maintenant en « peau de léopard », avec parfois de grandes distances entre les foyers d’occupation et la multiplication d’obstacles infranchissables, premiers signes de la raréfaction de l’espèce et de sa mise en danger possible à court terme. N’oublions pas la vitesse à laquelle les biotopes littoraux ont été saccagés, et majoritairement réduits ou détruits, en quelques décennies ! Une étude commencée sur le littoral atlantique de la France n’a pas pu être continuée sur le littoral méditerranéen parce que l’auteur n’avait pas prévu que les stations littorales méridionales qui existaient depuis des lustres seraient soudain détruites aussi rapidement ! (8). Il reste à souhaiter que les naturalistes, de plus en plus actifs et ingénieux, participent à la connaissance et à la défense des biotopes, multiplient les études et observations de Saga pedo, et, peut-être, décrivent les paramètres biologiques qui permettent l’apparition des mâles, c’est-à-dire trouvent la clé du contrôle de la parthénogenèse chez cet Insecte. Une telle découverte serait un fait marquant dans l’histoire de l’entomologie. Elle aurait probablement des retombées scientifiques, et économiques, fondamentales. [Note 2]

NOTES

Note 1 - Jacques-Henri BERNARDIN DE SAINT-PIERRE (1737-1814), naturaliste et écrivain, donnait le plus d’importance au sentiment, « plus propre à découvrir la vérité que notre raison ». Il affirmait que « l’Auteur de la nature » manifeste «  des intentions constantes de Bienveillance », et faisait prévaloir l’imagination sur l’analyse critique. Il disait que « si les melons sont divisés par côtes, c’est qu’ils semblent destinés à être mangés en famille » (J.-H. Bernardin de Saint Pierre : Etudes de la Nature, 11ème étude). Ses écrits ont connu un succès au début du XIXe siècle. Il a exprimé aimablement un courant de pensée anthropomorphique et religieux, toujours fécond, que j’ai parodié pour écrire cette fable à partir d’un fait d’observation.

Note 2 – Des études en cours amorcent une nouvelle approche de ces insectes, qui étaient jusque récemment imaginés plutôt qu’étudiés, sans préoccupation de protection de ces animaux et de leurs milieux.
 

- DACHY Y., 1998 - Observations sur le comportement de Saga pedo Pallas dans le Nord de l’Hérault, et remarques diverses autour d’un Orthoptère réputé rare (Orthoptera, Tettigoniidae). Bull. Soc. Et. Sci. Nat de Béziers. N.S. XVII (58) – 1997-1998 : p. 22-34.

 

Voir Le début de ces observations sur cet article.

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BALADES ENTOMOLOGIQUES

Description : Macrophotos, observations et études sur quelques insectes de Provence.

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